BACHLA

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Echo des terriers du mois de décembre 2021

 

Celui vers qui nous dirigeons aujourd’hui, nos pas, est considéré, depuis des millénaires, comme le gardien de nos rivières...

 

 

 

Facile de sculpture et de tournure, de vieux ébénistes l’appelaient, encore peu, le merisier du pauvre. Outre le petit mobilier d’intérieur, nos aïeux ouvrageaient de son corps tendre une foultitude d’objets usuels : pipes, toupies, beurriers, assiettes, bols, couverts, sabots, échelles, guitares, fusettes, bobines, navettes, crayons, sifflets... J’ignore si John Silver, l’unijambiste de l’île au trésor, lui devait sa seconde “jambe”, mais il est certain que bon nombre de “Pinocchio” furent taillés en son bois !

 

 

 

Cet arbre dont je veux faire le plaidoyer, le chapelier en utilisait l’écorce pour colorer, noircir ses feutres, et la ramasseuse de simples y puisait de quoi nettoyer les plaies, tonifier les corps, cicatriser les brûlures. “L’infusion de pelures de cet arbre guérit la fièvre”, disait-on en Bretagne, “les feuilles soignent les maux de gorges, soulagent les maux de bouches…”. Dans les villages, nul n’en ignorait l’autre usage : le feuillage frais, répandu en litière, débarrassait les poules de leurs puces, de leurs poux.

 

 

 

Lequel d’entre vous vient de deviner vers qui nous fait marcher cet écho des terriers ?

 

 

 

Bon. Je me fends d’un indice supplémentaire… Quittons l’Alsace pour les côtes d’Armor et le Finistère : ce feuillus est le seul arbre qui, en France, partage le même nom qu’un fleuve. Ah ! Voici qu’au-dessus du pont de la recouvrance, des gars de Landevennec et de Rosnoën m’apostrophent : “Gast ar c’hast, paour kaezh! Mais il s’agit de l’Aulne, ma doué !” (Pour ne point nuire aux oreilles chastes de mon curé, je m’abstiendrai de traduire l’expression employée !)

 

 

 

Nous sommes au XXIème siècle, ère de la téléportation des atomes, du séquençage du génome, de la biologie synthétique, de la manipulation embryonnaire, du graphène, de l’optogénétique, du boson de Higgs, de l’observation des explosions des ondes gravitationnelles et d’Abrahim Hassan, enfant “in vitro”, “né” de trois parents. Covid, fonte des glaces, réchauffement climatique, l’on s’électrise ici et là, en Guadeloupe comme aux frontières de l’Ukraine, quelques volcans s’éveillent, et sur le quai désert d’une rame de métro, traînant tel un vieux papier froissé, un clown blanc fatigué, saxo en bandoulière, d’une voix éraillée qui ne sait plus faire rire, chantonne mollement “le petit jardin” de Dutronc.

 

 

 

Un peu de poésie vivifiante dans ce monde de brutes, revenons à notre aulne, aune, vergne, et plus particulièrement à l’aulne glutineux… Le forestier vous confirmera les propriétés de restructuration et d’enrichissement des sols appauvris que concède la présence de ce cadeau du bon Dieu, mais il ne le conseillera point pour bois de chauffe : à choisir, on lui préfèrera d’autres essences. Pourtant, n’était-il pas apprécié au siècle dernier pour la chaleur vive qu’octroyaient ses flambées ? Ne figurait-il pas, aux côtés du bouleau et du saule, parmi ceux que les anciens nommaient “bois de verriers, de chaufourniers, de boulangers”.

 

L’aulne brûle vite. Trop vite. Mais il a d’autres qualités, et au refuge LPO de Jojo, on le sait, telle présence, été comme hiver, comble les ventres affamés ! Pour qui pratique le jardinage ornithologique, voici un arbre qui ne saurait manquer : l’aulne glutineux offre une fructification surabondante de charmantes petites graines qui régalent, durant la morte saison, notre granivore avifaune. Pour les “viandards”, du troglodyte au pic, pas de panique : l’essence regorge d’insectes ! “Alnus glutinosa” est par excellence, diront les spécialistes, le grand ami de la chenille du grand mars changeant, et pour les passionnés de plumes, du “spinus spinus” plus connu sous le vocable de “tarin des aulnes”.

 

 

 

Le tarin des aulnes ! Fuyant le froid et se mêlant à nos discrets passereaux locaux, qui quittent pour quelques mois l’abri de leurs sapins, ils sont des milliers de migrants jaune/gris/noirs qui pérégrinent pour survivre. Du nord au sud, voletant d’aulnaie en aulnaie, on les voit s’abattre sur les mangeoires dès que s’y présente un bloc de cacahuètes ! Véritable prouesse que cette traversée migratoire des tarins scandinaves lorsque, chassés par les neiges, ils se répandent en bandes éparses à partir des torrents de la sauvage Norvège, jusqu’aux vernes des sols accablants de la sierra morena d’Espagne. La raréfaction de ce bois vaut pour catastrophe, le tarin ne pérégrine bien qu’en sautant d’aulne en aulne, comme l’on sautille de caillou en caillou pour traverser un gué. Bouleaux et charmes peuvent faire l’affaire disent certains ! Tu parles, Charles ! Dis ça à un tarin !

 

 

 

La particularité de l’aulne c’est qu’il aime avoir les pieds baignés. Canaux, rus, lacs, rivières, ruisseaux, toute onde lui va. Comment se douter que ce “betulaceae” bien connu des pêcheurs figure aujourd’hui comme l’une des essences les plus menacées de nos espaces naturels ? L’artificialisation des sols, l’assèchement des prairies humides et le déboisement des rives l’affectent, ils ne sont pas seuls en cause : l’arbre est victime, tout comme l’orme, d’une maladie cryptogamique qui inquiète.

 

 

 

Au refuge du Meyersbuhl, l’on garde, sauvegarde, veille, un peuplement de quelques 200 aulnes glutineux, toutes tailles confondues. Un paradis pour les mésanges, les sittelles, les grimpereaux, les fauvettes, les sizerins, les verdiers, (...), qui hantent les cépées, les feuillages, et les troncs couchés, pourrissants au sol. Avant de vous laisser vagabonder via deux, trois photos, revenons quelques secondes sur cette triste aura de morbidité que l’arbre traina longtemps comme un boulet...

 

 

 

Les citadins l’ignoreront peut-être, mais les eaux dormantes noires et fangeuses des terres marécageuses éveillaient en certains endroits reculés, dangers et superstitions. A Guéméné-Penfao, je le cite pour exemple, non loin de cette nationale 137 qui mène à Rennes, les sabots de ma grand-mère finirent aux flammes pour avoir foulé de tels sols infâmes ! À l’heure où les ombres du chien et du loup se confondent, la mère de ma mère, affolée, que la nuit s’apprêtait à draper, avait eu la sotte idée de couper court, de regagner sa chaumière via l’un de ces lambeaux de landes détrempées, malfamées. La puanteur du lieu avait crotté ses chausses, et avec elle était entrée l’haleine fétide de l’Ankou !

 

Les marais, retenez-le, tant chez les gens de la ville que chez les habitant des profondes campagnes, dégueulaient de diableries, de maléfices, de maladies, l’on y faisait des noyades, voire, précédées du chuintement de la dame blanche ou d’un hibou, de bien mauvaises rencontres ! Et devinez quel est l’arbre par excellence que l’on trouve dans ces lieux de pestilence ?! Bingo ! L’aulne de cet écho !!!

 

 

 

Pour se complaire dans les marécages, l’aulne glutineux s’étiqueta d’une mauvaise image. Voyez chez Goethe, dans son poème le Roi des aulnes : il symbolise la mort.

 

 

 

Qui donc passe à cheval dans la nuit et le vent ?

 

C’est le père avec son enfant.

 

De son bras, crispé de tendresse,

 

Contre sa poitrine il le presse...”

 

Ce texte donne le ton…

 

 

 

Dans le monde druidique, à contrario des croyances germaines, plus nordiques, dans ce royaume étrange fait de silences, de brumes oppressantes et d’eaux mortes pesantes, l’arbre, dressé, semble flotter comme le mât d’une barque. Bois de vie, de régénération, de renaissance, l’aulne mythologique mène de rive en rive, récif solidifié d’entre deux mondes, ceux de la ténèbre et du vivant. Pour ce qui nous intéresse, retenons cette idée de passage, car l’aulne est l’un des premiers arbres à se féconder au sortir de l’hiver : quand nous verrons au refuge de Jojo, ses envolées de pollen se dissiper, jaune, aux vents, nous nous réjouirons de “passer” du frimas au printemps !!!

 

 

 

A très bientôt pour un nouvel écho !

 

Signé : Jojo !

 

 

 

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Vu du pré. En ce territoire interdit aux hommes que ceinture la ronce, du renard à l’oiseau, de nombreux yeux souvent nous guettent... 

 

 

 

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Le cerf souvent s'attarde dans ces lieux de quiétude que nul ne vient troubler

 

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Présent dès l’automne, les chatons mâles et les strobiles femelles, s'épousaillant sous les bises de la brise, offriront dans quelques mois leurs samares si prisées des oiseaux !

 

 

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30/11/2021
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